Astreinte et code du travail

Publié le : 28 juillet 202020 mins de lecture

Introduite le 8 août 2016 et effective depuis le 1er janvier 2017, la « loi El Khomri » (du nom du ministre français du Travail) ou « loi travail » accordait aux salariés en France le « droit de se déconnecter » des appareils numériques. Bien que les médias aient donné l’impression qu’il s’agissait là d’une autre règle onéreuse à respecter par les employeurs en France, ces rapports ont peut-être simplifié à l’extrême la loi.

Contrairement à la croyance populaire aux États-Unis, le droit de se déconnecter n’interdit pas aux employés de recevoir, lire et écrire des e-mails, ou de répondre aux appels téléphoniques pendant le week-end et après 18 heures pendant la semaine de travail. Le droit de se déconnecter est plutôt une composante des arrangements flexibles et de télétravail selon lesquels les employés déterminent librement leur horaire. Ce droit donne aux employés une marge de manœuvre où la frontière entre le travail et la vie personnelle peut être floue. Alors que certains pourraient dans un premier temps envisager le droit de se déconnecter pour créer une autre contrainte pour les entreprises, l’objectif de séparer le travail du temps personnel apparaît comme universel, transcendant vraisemblablement les niveaux hiérarchiques et les différences culturelles.

Le droit de se déconnecter impose également à l’employé le devoir de se déconnecter ou, du moins, la responsabilité d’utiliser raisonnablement les outils numériques. Conformément à la tendance française à créer de nouveaux concepts, le droit à la déconnexion n’est qu’une autre expression ou confirmation des droits des salariés à une période minimale de repos la nuit, le week-end et les vacances.

Bien que l’on ait beaucoup parlé du droit de se déconnecter, cet article cherche à séparer les faits de la fiction sur ce sujet.

Fondements juridiques et pratiques du droit à la déconnexion : la recherche de l’équilibre

Le droit de se déconnecter est né de la recherche permanente d’un équilibre entre des modalités de travail flexibles et l’utilisation raisonnable des appareils numériques. Avant la promulgation de la loi, le droit à la déconnexion était déjà apparu. En effet, ce droit est né du renforcement accru des règles régissant les horaires de travail annuels des cadres et de ceux qui déterminent librement leurs propres horaires de travail (appelés « forfaits jours »).

Tous les salariés français ne travaillent pas 35 heures par semaine. De nombreux employés, en particulier les cadres, travaillent selon des conditions d’emploi qui ne comptent pas le temps de travail en heures par semaine, mais en jours au cours de l’année (par exemple, 218 jours) : le « forfait jours ». Comme pour les salariés aux États-Unis, les heures effectivement travaillées ne sont pas calculées. De plus, comme les employés exonérés aux États-Unis, ces employés ne sont pas assujettis aux heures supplémentaires, un avantage important pour les employeurs. Néanmoins, la loi française impose des garanties salariales et horaires à ces salariés. Par exemple, ces employés ont droit au repos quotidien et hebdomadaire obligatoire, au suivi de la charge de travail des employés par l’employeur, à des niveaux minimaux de rémunération et à un équilibre entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale.

Depuis 2011, la Cour suprême française suit de près le régime du temps de travail annualisé. À la lumière de cet examen, la branche Syntec (c’est-à-dire les entreprises de technologie de l’information) est devenue le pionnier du droit à la déconnexion. En avril 2014, la convention collective sectorielle couvrant cette branche incluait ce droit dans ses nouvelles règles relatives à l’horaire de travail annuel (le « forfait jours ») et faisait en effet référence au « devoir de déconnexion » des outils de communication à distance.

La loi française reconnaît également un droit contractuel à la déconnexion pour les salariés travaillant à domicile (télétravailleurs). Les accords individuels formalisant les accords de télétravail précisent les périodes de temps de travail pendant lesquelles le salarié peut être contacté par l’employeur.

Avec la nouvelle loi, cependant, le droit de se déconnecter a été étendu à tous les salariés qui utilisent les outils numériques et de télécommunication dans leur activité professionnelle. La loi – qui se trouve à l’article L.2242-8 du Code du travail – ne définit pas le droit à la déconnexion. Au lieu de cela, il oblige les employeurs à mettre en œuvre « des procédures pour le plein exercice par l’employé de son droit de se déconnecter » et à « établir […] des mécanismes de contrôle afin de réguler l’utilisation des outils numériques, dans le but d’assurer le respect des périodes de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. » En un mot, le principe directeur du droit de se déconnecter est la protection de la santé de l’employé et le respect des périodes de repos et de congé.

Bien entendu, le droit de se déconnecter ne peut s’appliquer de la même manière dans toutes les situations. Bien au contraire : une application indifférenciée pourrait en fait engendrer de nouveaux risques pour les employés et les employeurs. Les modalités de conformité doivent tenir compte des besoins spécifiques de l’organisation et des besoins personnels du travailleur. Par exemple, il serait dénué de sens et contre-productif d’empêcher systématiquement un employé de se connecter après 19 h 00 lorsqu’il fait partie d’une équipe internationale et a besoin de communiquer avec des personnes dans différents fuseaux horaires. De même, un accès plus tard le soir serait utile pour un salarié qui souhaite arrêter de travailler entre 16h00 et 19h00 pour s’occuper des enfants et se reconnecter le soir.

Le droit de se déconnecter est à la fois une contrainte et une opportunité pour l’employeur de minimiser les pratiques et habitudes déraisonnables et de réduire effectivement les risques liés à la santé et au temps de travail. Les e-mails en dehors des heures de bureau en fournissent l’exemple classique. Qui ne connaît pas un employé qui envoie régulièrement des e-mails le soir et le week-end et qui semble pourtant attendre une réponse immédiate ? Les employeurs peuvent souhaiter freiner une telle conduite tout en permettant à d’autres employés d’envoyer des courriels pendant la soirée ou le week-end qui trouvent cela avantageux. Les employeurs pourraient, par exemple, rappeler à tous les employés que ces courriels après les heures de travail ne doivent pas être interprétés par leurs destinataires comme appelant à une action immédiate. Les employeurs peuvent atteindre cet objectif de plusieurs manières, notamment des notifications contextuelles et / ou une fonction d’envoi différé.

En fin de compte, le droit de se déconnecter repose sur le bon sens et le bon jugement pour prévenir les comportements déraisonnables et réduire les risques connexes pour les entreprises, tels que les heures supplémentaires, la charge de travail excessive et les allégations de harcèlement moral, qui couvrent l’intimidation et d’autres types de comportements qui menacent la dignité des personnes au travail. Le défi, cependant, consiste à faire la différence entre l’utilisation abusive ou abusive des outils numériques et les modalités de travail légitimes qui permettent des connexions en dehors des heures de travail normales, parfois pour la commodité de l’employé.

Cadre juridique : une obligation de négocier, avec la discrétion de l’employeur pour déterminer les moyens

La loi sur le droit à la déconnexion, entrée en vigueur le 1er janvier 2017, s’applique généralement aux entreprises d’au moins 50 salariés. S’il n’y a pas de sanction en cas de non-conformité, la loi oblige les employeurs couverts à négocier avec les employés le droit de se déconnecter. La loi donne la priorité à la négociation collective avec les représentants du personnel et les syndicats afin de fixer les règles applicables en matière de droit à la déconnexion. Ce thème s’inscrit dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité des sexes sur le lieu de travail et la qualité de vie au travail.

Bien qu’il n’y ait aucune obligation de conclure une convention collective, la loi prévoit qu’en l’absence d’un tel accord, l’employeur doit élaborer un code de conduite ou des politiques définissant les conditions dans lesquelles les employés peuvent exercer leur droit de se déconnecter. Les politiques de l’employeur doivent également inclure des plans visant à éduquer les employés et à les sensibiliser à l’utilisation raisonnable des outils numériques.

Même s’ils ne sont pas couverts par la nouvelle loi, les petits employeurs devraient également se préoccuper du droit de se déconnecter. En effet, en application du nouvel article L.3121-64 du Code du travail, à partir de la loi du 8 août 2016, tout employeur – quelle que soit la taille de l’entreprise – doit aborder le droit à la déconnexion pour les salariés soumis au travail annualisé système de jours. En d’autres termes, même si l’entreprise compte moins de 50 employés, un employé en particulier peut avoir le droit de se déconnecter.

La combinaison de ces dispositions suggère que le droit à la déconnexion peut s’appliquer à tous les employés et à toutes les entreprises (quelle que soit leur taille). En outre, il est probable que la jurisprudence étendra l’application de ce droit lié à la santé à tous les employés.

Outre les déclarations juridiques, des accords à l’échelle du secteur peuvent également aborder et affecter le droit de se déconnecter. Par exemple, la convention collective du Syntec applicable aux entreprises informatiques impose à l’employeur d’inclure des règles relatives au droit de déconnexion et aux périodes de repos dans les politiques d’emploi de l’entreprise (« Réglement intérieur »). L’inclusion dans les politiques de l’entreprise implique à la fois la consultation préalable des représentants du personnel et l’approbation de l’inspection du travail.

Fait intéressant, l’intégration du droit de se déconnecter dans les politiques de l’employeur o signifie que les employés qui enfreignent les obligations qui y sont contenues peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires. Ainsi, les salariés qui ne respecteraient pas les règles régissant le droit à la déconnexion pourraient recevoir un avertissement sur cette base.

Défis et risques posés par le droit de se déconnecter

Étant donné l’absence de sanctions en cas de non-conformité, les employeurs peuvent être tentés d’ignorer le droit de se déconnecter. Cependant, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les entreprises devraient envisager de mettre en œuvre une politique interne relative au droit de se déconnecter.

En effet, le droit de se déconnecter n’est pas seulement une obligation envers les salariés travaillant dans le cadre du système de jours de travail annualisés, mais devrait également être considéré comme faisant partie de l’obligation de l’employeur de fournir aux travailleurs des périodes de repos adéquates. Cette interprétation s’applique également aux télétravailleurs, dont le temps de travail est plus difficile à contrôler et nécessite des solutions plus sophistiquées à gérer.

Dans ce contexte, le droit de se déconnecter entre dans le champ des obligations légales générales de l’employeur, en particulier l’obligation de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés ». Cette obligation inclut la prévention des risques psycho-sociaux.

En d’autres termes, si un employeur ne se conforme pas aux dispositions spécifiques relatives au droit de se déconnecter, il peut être tenu pour responsable des réclamations d’épuisement professionnel, de harcèlement moral, etc. Par exemple, si un salarié est contraint d’envoyer de nombreux e -les courriers pendant la nuit par son manager, l’employeur pourrait être tenu responsable. De plus, il est probable que les employés utiliseront le nouveau fondement juridique du droit de se déconnecter pour renforcer les demandes d’heures supplémentaires et demander des dommages-intérêts séparés sur cette base. Un employeur pourrait également faire face à une réclamation pour congédiement déguisé par un employé pour violation de son droit de se déconnecter.

Finalement, la maîtrise des pratiques déraisonnables dans l’utilisation des outils numériques par les salariés permet à l’employeur de gérer les risques associés et de sécuriser sa défense en cas de litiges sur la charge de travail, les heures supplémentaires ou les risques psycho-sociaux associés. Par exemple, la réclamation d’un salarié contestant son régime de temps de travail annualisé sur la base d’une allégation de non-respect des périodes de congé serait vraisemblablement affaiblie si, par exemple, l’employeur a la preuve que ce salarié a reçu de nombreuses notifications pour (intentionnellement) envoyer trop d’e-mails en dehors des heures normales de travail.

Différentes approches pour la mise en œuvre du droit à la déconnexion

Bien entendu, il n’existe pas d’approche unique pour mettre en œuvre le droit de se déconnecter. La mise en œuvre doit être personnalisée et adaptée à l’activité, à la culture, à la structure d’âge et au mode de communication de chaque entreprise. En outre, l’application du droit de déconnexion peut ne pas être la même pour toutes les unités commerciales d’une même entreprise. Des distinctions entre les groupes peuvent être nécessaires, en particulier pour les entreprises ayant des équipes internationales qui doivent communiquer dans des fuseaux horaires différents. En résumé, avant d’entreprendre des négociations ou d’établir des politiques, les employeurs doivent analyser leurs besoins et leurs effectifs, à la fois pour identifier les comportements à risque et les mauvaises habitudes et pour évaluer les solutions possibles.

Si la loi donne aux employeurs une certaine latitude, elle ne fournit aucune indication sur les mesures de contrôle qui pourraient être appropriées pour réglementer l’utilisation des outils numériques par les employés. Il est largement admis que la solution n’est pas de couper systématiquement l’accès aux serveurs informatiques entre 20h00 et 7h30 et le week-end. Il existe cependant une variété d’approches plus réalistes.

Sur la base de notre revue des pratiques adoptées par les entreprises qui ont déjà défini la portée et l’application du droit à la déconnexion, voici quelques options intéressantes :

  • Activités de sensibilisation et de formation. Les employeurs devraient envisager de développer des programmes de sensibilisation et de formation sur le droit de se déconnecter. Des formations spécifiques devraient être conçues pour la direction, qui doit donner le bon exemple et favoriser un environnement où les employés ne se sentent pas obligés de répondre immédiatement aux e-mails lorsqu’ils exercent leur droit de déconnexion.
  • Implication du comité d’hygiène et de sécurité. Les employeurs peuvent impliquer le comité d’hygiène et de sécurité et des spécialistes de la santé pour sensibiliser et sensibiliser les employés à la bonne utilisation des outils numériques.
  • Système d’avertissement. Les employeurs peuvent mettre en place un système informatique qui avertira les managers et le service des ressources humaines de la non-conformité. Par exemple, si la période de repos quotidienne n’a pas été observée par un employé plusieurs fois au cours du mois, le gestionnaire pourrait planifier une rencontre individuelle avec l’employé pour aborder et résoudre la situation.
  • Définition d’une période de déconnexion. Les employeurs peuvent définir expressément une « période de déconnexion » pendant laquelle aucun e-mail ne doit être envoyé et / ou les e-mails peuvent ne pas nécessiter de réponse. Ces limitations dépendraient de l’organisation de l’entreprise. Mais, par exemple, une période de déconnexion peut restreindre l’utilisation du courrier électronique tous les dimanches et jours ouvrables, de 20h00 à 7h30, peut-être avec des exceptions pour des unités spécifiques.
  • Fournir des exceptions. Les employeurs devraient reconnaître que des circonstances exceptionnelles se produisent et devraient assouplir les restrictions générales pour de telles situations d’urgence. Ainsi, par exemple, les politiques d’un employeur peuvent inclure des exceptions aux restrictions établies en cas d’accident grave, de crise médiatique, d’autres besoins commerciaux extraordinaires ou d’urgence publique.
  • Suivi des e-mails. Les employeurs peuvent également tirer parti de la technologie pour déterminer quelles unités commerciales ou quelles personnes sont susceptibles de violer le droit de se déconnecter. Le service informatique, par exemple, pourrait suivre les e-mails envoyés et reçus en dehors des heures normales de travail pour identifier les unités commerciales à risque.
  • Notifications automatiques. Le système de messagerie lui-même peut être conçu pour encourager le respect du droit de se déconnecter. Les employeurs peuvent installer une fonction d’envoi d’e-mail retardé, qui conserverait un e-mail jusqu’à un moment donné s’il n’y a pas d’urgence. Une autre fonctionnalité nécessiterait la confirmation de l’expéditeur qu’il souhaite vraiment envoyer le message pendant la période de déconnexion tout en lui rappelant l’obligation de se déconnecter.

Recommandations aux employeurs

Maintenant que le droit à la déconnexion est devenu une loi dans toute la France, les employeurs devraient prendre des mesures pour assurer la conformité. Au départ, les employeurs devraient déterminer si une convention collective applicable à l’échelle de l’industrie comprend des dispositions spécifiques relatives au droit de se déconnecter et si ces dispositions doivent être mises à jour. Dans tous les cas, les employeurs devraient évaluer s’ils sont tenus d’engager des négociations avec les syndicats et / ou les représentants du personnel sur le droit de se déconnecter.

Les employeurs de moins de 50 employés devraient évaluer s’ils ont des travailleurs soumis au système de jours ouvrables annualisés (forfait jours), car ils ont également le droit de se déconnecter. Tous les employeurs devraient également revoir les conditions de tout accord avec les employés du télétravail.

Lorsque le droit de se déconnecter s’applique, les employeurs devraient immédiatement lancer une enquête, avec l’aide de l’équipe informatique, pour identifier les comportements à risque ainsi que les unités commerciales susceptibles d’être sujettes à la non-conformité. Les employeurs devraient envisager de nommer une équipe de direction spécifique dédiée au droit à la déconnexion, qui peut se concentrer sur le développement de campagnes de formation et de sensibilisation. Comme indiqué précédemment, les employeurs devraient envisager et choisir des mesures de contrôle appropriées pour leurs organisations et autoriser des exceptions en cas d’urgence ou lorsque cela est justifié.

En conclusion, le droit à la déconnexion ne doit pas être caricaturé et diabolisé comme une bizarrerie française mais plutôt vu comme un outil de contrôle et de prévention. Les employeurs qui prennent la nouvelle loi au sérieux et mettent en œuvre des mesures de contrôle appropriées seront en mesure de mieux gérer les risques et, espérons-le, récolteront les avantages associés à des employés en meilleure santé.

À lire en complément : C’est quoi l’astreinte selon le Code du travail français ?

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